AIKIDO et JODO
Par Gilles MAGRINI, 6ème Dan
Au numéro 2 de l'impasse de l'oratoire, il y avait une porte où était inscrit « Judo club avignonnais – Karaté – Aïkido. »
S'il y a un geste que je ne regrette pas, c'est bien d'avoir poussé cette porte …
En 1962, le tatamis était constitué d'une bâche posée sur 10 cm de copeaux de bois bien tassés et les professeurs étaient souvent assez rudimentaires, en ce qui concerne la technique. Ils découvraient SHIRO NAGE le lundi et nous l'enseignaient le jeudi ! Heureusement les Sensei japonais faisaient de très nombreux stages dans les dojos les plus minuscules ! Je me souviens de cours où nous étions une dizaine de participants, en face de SHIHAN tels que Tamura, Noro, Nakasono...
Durant ces cours nous recevions en pleine face l'immensité du chemin à parcourir.
Les maîtres ne parlaient pratiquement pas le français mais avec deux phrases courtes, ils résumaient : « vous, mourir » ou : « beaucoup travail. » Nous avions droit aussi à des grognements pour chaque erreur.
Nous n'avions toujours pas l'usage du KI mais à chaque visite des SHIHAN, nous en avions la preuve irréfutable et parfois douloureuse.
La première fois que j'ai découvert ce que peut être le Ki sans contact, c'était lors d'un stage au Couvent Royal de St Maximin. Où moment où je posais la main sur la poignée de la porte, elle s'ouvrit et j'eus l'impression que j'allais être écrasé par un train ! Devant moi se tenait un japonais l'air un peu courroucé … C'était ma première rencontre avec Shiba Sensei. L'énergie qui émanait de cet homme ressemblait à celle d'un rocher qui va vous tomber sur la tête.
L'aïki- do, jour après jour, nous apprenait les valeurs martiales : choisir sa place sans hésiter, prendre ou poser un objet, s'asseoir, se lever, respirer, observer, écouter, être attentif aux détails, respecter les SHIHANS, gérer la douleur en silence, discerner le danger, essayer de tout voir, prendre des décisions rapides, discerner le moment d'attaquer ou le moment de ne rien faire, être mobile, rechercher dans tous les cas l'adéquation et l'instantanéité de nos réponses, utiliser le Ki, pratiquer Aï-ki du matin au soir, travailler en silence. Le silence dans le travail est la respiration de l'esprit.
À présent, je suis un vieil homme et je me demande comment l'aïki-do sera compris et pratiqué dans l'avenir. Tout d'abord l'esprit guerrier, bien sûr. Et il n'est pas question de brutalité, il est question d'esprit protecteur, de discipline personnelle, de vigilance, et de réelle efficacité.
Il y a une question que l'on se posera dans les dojo, car une grande partie des pratiquants se la posent depuis toujours : qu'en est-il de la violence dans la défense personnelle ? Peut-on manier des bokens et des bâtons dans une idée d'harmonie ? Oui, bien sûr. L'idée de se défendre (et donc d'attaquer au bon moment) n'est pas incompatible avec la bienveillance. Et ceux qui voudront se parfaire dans l'art du combat doivent le faire sans complexes.
A ce sujet :j'ai vécu une expérience :j'ai pratiqué le makiwara et le sac de frappe pendant de longues années. Un jour, Tamura Shihan a aperçu mes mains abîmées par les frappes répétées. A ma grande surprise, au lieu de me jeter un regard noir pour ce travail typique du karaté, il m'a fait un cours sur le makiwara, les différentes frappes et les manières de protéger ses mains. Puis, il m'a dit cette phrase que j'ai mis un moment à comprendre : « L'aïki-do dans le combat, c'est ATEMI » . Il est intéressant de savoir que la racine du mot atemi vient du japonais ancien ateru qui signifie « évaluation rapide ».
Un autre aspect qui me paraît important est la notion de créativité, mais il ne s'agit pas d'inventer des techniques. Il s'agit de repérer et comprendre tous les dénominateurs communs aux techniques et aux concepts de l'aiki-do et de développer un style personnel adapté à notre corps, à notre esprit, aux situations et aux buts que nous recherchons. Observez les Sensei fondateurs tels que Toheï, Saïto, Shioda : leurs différences sont évidentes, pourtant il y a chez chacun ce dénominateur commun. Ceci est l'aïki-do vivant.
Enfin, l'usage du Ki. Ne jamais oublier la signification du mot « Aïki-do ». La voie de la connexion des Ki. Que ce soit à mains nues, avec un katana ou un jo, ou dans la vie de tous les jours.
Je souhaite aux futurs pratiquants de s'approcher de l'ultime degré dans la voie du ki. C'est cette énergie sans contact, utilisable avec le regard, le souffle, la voix, et même le silence et l'immobilité.
C'est le Ki des vieux maîtres, des arbres, des animaux, et celui de la nature avec laquelle on peut se connecter pour réaliser l'Unité. Celle dont parle O Sensei Ueshiba, et que nous recherchons toute notre vie avec passion et optimisme.